
De Woluwe-Saint-Pierre au Nord-Kivu : Un projet pour renforcer l’administration locale
Entre 2021 et 2024, la commune de Woluwe-Saint-Pierre et la province du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo (RDC), ont mené un projet de coopération au développement. Rétrospective avec Catherine Deroover, responsable du projet pour la commune de Woluwe-Saint-Pierre.
Pouvez-vous nous présenter ce projet de coopération entre Woluwe-Saint-Pierre et le Nord-Kivu qui a été cofinancé par l’Union européenne ?
Catherine Deroover : « Le projet que nous avons mené entre 2021 et fin janvier 2024 concernait le renforcement des compétences administratives et financières dans la province du Nord-Kivu. Les villes concernées sont Goma, Beni et Butembo, situées dans une région malheureusement souvent secouée par des conflits et des catas- trophes naturelles ».
Quels étaient les objectifs de ce partenariat ?
Catherine Deroover : « Principalement d’appuyer les actions du Programme de Coopération inter- nationale communale (CIC) en matière d’état civil et de recensement. Nous avons utilisé une technologie numérique innovante pour sécuriser les données adminis- tratives et fiscales, en vue de contribuer à la digitalisation des services publics au bénéfice des citoyens ».
Donnez-nous des exemples d’activités dans ce cadre.
Catherine Deroover : « Je citerais le recensement numérique et l’enregistrement des naissances, mariages et décès, la mise en place d’un répertoire des assujettis fiscaux, d’un cadastre foncier et d’une cartographie des quartiers répertoriant notamment les bâtiments scolaires, les lieux de culte, les structures sanitaires et les points d’eau. Ces initiatives sont cruciales pour améliorer la gestion administrative et offrir des services plus efficaces aux citoyens ».
Qu’en est-il du financement ?
Catherine Deroover : « Ce projet a été largement cofinancé par l’Union européenne, qui a soutenu nos efforts pour renforcer les compétences des agents administratifs en RDC. Grâce à ce finan- cement, nous avons pu offrir des formations spécialisées pour améliorer leurs compétences et leur permettre de mieux servir la population. Nous avons également pu développer des applications de recensement et de gestion d’état civil favorisant le rapprochement entre l’administration publique et la population. Le budget total du projet était de
1.042.000 €, dont 990.000 € pris en charge par l’UE, représentant 95% du budget total ».
Quels ont été les bénéfices pour les citoyens du Nord-Kivu ?
Catherine Deroover : « Je dirais, avant tout, une existence légale reconnue par la société grâce à l’enregistrement des faits d’état civil (naissance, mariage, décès) et au recensement. De plus, la sécurisation des données administratives et fiscales permet une meilleure gestion des ressources et des services publics, ce qui contribue finalement à améliorer la qualité de vie des citoyens. En particulier, cela a aidé à lutter contre le phénomène des « enfants fantômes » et à améliorer la situation des femmes en cas de divorce ou de veuvage ».
Quelle a été la plus-value pour le programme CIC ?
Catherine Deroover : « Le projet a renforcé les activités mises en œuvre depuis plus de dix ans dans le cadre du programme CIC. Il a permis d’investir dans du matériel informatique pour la gestion des services d’état civil et du recensement, et de ren- forcer la sensibilisation et la communication sur les actions menées. De plus, l’engagement d’un coordinateur financier pour la gestion du projet a constitué un atout majeur pour les partenaires congolais. Le projet a également été complémentaire au subside CIC, permettant d’utiliser ce dernier pour d’autres activités, comme la construc- tion de maisons de quartier ».
Parlez-nous des défis rencontrés lors de la mise en oeuvre.
Catherine Deroover : « En premier lieu, je citerais la lourdeur administrative et le besoin de suivre les modèles et canevas européens. Le démarrage du projet a pris du temps en raison des procédures de marchés publics. De plus, la région du Nord-Kivu a été affectée par des crises, comme l’éruption du Nyiragongo et les menaces du M23 — groupe armé en rébellion contre le gouvernement congolais, qui ont retardé certaines activités ».
En lien avec la gestion administrative et financière, votre commune a‑t-elle mis en place des outils ou des structures spécifiques pour faciliter les démarches ?
Catherine Deroover : « Oui, depuis quelques années déjà, notre commune a confié la gestion financière et administrative des projets de ce type à l’ASBL communale “Jumelages et Partenariats”. Cette ASBL n’a pas été créée en RDC, mais elle a ouvert un compte non-résident dans ce pays pour valider les paiements. Cette structure a été mise en place pour faciliter la gestion des projets en vue d’une simplification administrative et permettant de débloquer les fonds assez rapidement ».
Quelles leçons retirez-vous de ce projet et quels conseils donneriez-vous à d’autres communes souhaitant se lancer ?
Catherine Deroover : « Nous avons appris que la charge de travail et la lourdeur administrative peuvent être importantes, nécessitant une répartition claire des tâches entre la commune du Nord et celles du Sud ainsi qu’un suivi régulier, idéale- ment sur le terrain ou via des outils de communication comme Zoom. Il est essentiel aussi de s’assurer des capacités techniques des différents partenaires, en vérifiant qu’ils possèdent les compétences nécessaires pour bien mener le projet. En interne, c’est-à-dire au sein de l’administration, il est crucial de s’entourer des bonnes personnes pour travailler efficacement. Par exemple, les responsables des marchés publics et du service population/état civil de la commune se sont rendus à Goma, respectivement pour superviser la passation des marchés réalisés dans le cadre du projet et pour donner conseil dans la mise en œuvre des outils informatiques en matière d’état civil/recensement ».
Auriez-vous des conseils spécifiques concernant les relations avec le pouvoir subsidiant ?
Catherine Deroover : « Avant tout, il faut beaucoup discuter avec les agents de la Commission euro- péenne pour bien comprendre leurs attentes. Il est également important de bien lire les lignes direc- trices de l’appel à projets, d’utiliser les expressions propres à l’UE dans la rédaction de la candidature et des rapports, de ne pas voir trop grand dans ses objectifs (et son budget), et de prévoir un budget quasi finalisé dès la rédaction de la note succincte ».
Votre projet a‑t-il suscité de l’intérêt en dehors de la province du Nord-Kivu ?
Catherine Deroover : « Oui, notre expérience a été reconnue par la Commission européenne et par la Banque mondiale. Les formations concernant l’uti- lisation des applications développées par Digitech (voir encadré) continuent, et la Banque mondiale s’intéresse à ce qui est fait pour fournir les outils nécessaires au développement du projet dans d’autres villes. D’ailleurs, un projet ‘’spin-off’’ a vu le jour à Kintambo ».
Il y aura donc une suite ?
Catherine Deroover : « Grâce au subside du programme CIC nous continuerons à offrir des formations aux agents administratifs et à mener des campagnes de sensibilisation pour informer les citoyens des avantages des services numériques. De plus, l’expansion potentielle du projet à d’autres régions a été évoquée lors d’une récente visite en RDC. En effet, il est possible que la province de Kinshasa et le Nord-Kivu soumettent une candidature commune dans le cadre d’un appel à propositions qui sera lancé par l’UE en 2025. La commune de Woluwe-Saint-Pierre pourrait jouer un rôle de soutien, mais ne sera pas coordinatrice cette fois-ci ».
Propos recueillis par Davide Lanzillotti, conseiller en projets européens chez Brulocalis
Voir l’article dans le Trait d’Union : https://brulocalis.brussels/sites/default/files/2024 – 12/trait_dunion_ndeg141_0.pdf#page=35